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Prison : comment en sortir ?

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La prison a deux missions : sanctionner les personnes condamnées et leur permettre de se faire une place dans la société. Diego, Mickaël, Céline, passés par la prison, en témoignent : sanctionner, la prison le fait. Quant à la sortie, elle reste un impensé. Or les personnes incarcérées sont souvent issues de milieux défavorisés. Elles ont un faible niveau de formation, peu d’expérience de travail. Nombre d’entre elles présentent des troubles psychiques ou des addictions. Autant de fragilités accrues par la période de détention. La prison devient ainsi un accélérateur d’exclusion. Pourtant, les détenus d’hier constituent, pour une part, la société de demain. Comment leur ménager une place ? Et comment penser ensemble la sanction et la réhabilitation ? Des expériences existent, qui invitent à donner un autre sens à la peine.

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Entre Diego1 et la prison, c’est une histoire de famille. « Mon père est mort en prison. Il avait pris perpète. Ma mère, deux ans. » Diego parle trop vite. Ce matin de mai, les mots se battent entre eux pour savoir lequel sortira le premier de sa bouche. Diego a 28 ans. Un minot des quartiers Nord de Marseille. Il tire sur son bout de cigarette. « J’peux pas arrêter de fumer. Ça me calme ! » Cheveux aux épaules, moustache et barbichette. « Je suis rentré douze fois en prison. Plutôt par manque d’argent. Drogues, drogues, drogues, shit. »

Aujourd’hui, Diego touche le RSA. Il vit seul dans un squat au cœur du massif des Calanques, au sud de la ville. Ce matin, il a marché une heure et demie pour venir à l’Accueil Espérance, dans le IXe arrondissement de Marseille. Le jeune homme fréquente depuis sept ans cet espace tenu par le Secours Catholique. Près de 80 anciens détenus sans hébergement stable y sont domiciliés : c’est ici qu’ils reçoivent les convocations du Pôle emploi, les courriers de la caisse d’allocations familiales, l’avis d’imposition, les relevés bancaires…

Monique Omiro, bénévole au Secours Catholique, les accompagne dans leurs démarches. « Maintenant, tout se fait en ligne, souligne la septuagénaire. Quand des jeunes restent longtemps en prison, ils sont complètement déconnectés à la sortie. Quand on ne maîtrise pas internet, on passe à côté de ses droits. » Souvent, quand les gens sont en prison, leurs papiers d’identité expirent. Ils n’ont pas le droit de toucher le RSA et c’est l’administration pénitentiaire qui gère leurs ressources. Pour la sécurité sociale et le Pôle emploi, ils sont sous un régime spécial. A leur libération, il faut tout actualiser. En ligne.

Ce mardi, Louis, 42 ans et Abdelhak, 57 ans, viennent chercher leur courrier. Abdelhak vivait à la rue avant d’être incarcéré et touchait le RSA. Aujourd’hui, il est hébergé par des proches. « Provisoirement. » Ce qu’il voudrait, c’est un travail. « Une paie normale, que je puisse m’habiller. Me stabiliser. Sortir la tête de l’eau. » Abdelhak a grandi à La Belle de Mai, l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Ses parents, venus du Maghreb, sont morts quand il était jeune. Il a commencé à travailler à 17 ans. « Je sais pas trop lire, écrire. C’est un inconvénient », reconnaît l’homme dans un soupir.

Louis avait un logement, une femme, des enfants avant d’être incarcéré. Ce matin, il agite à bout de bras une énième contravention : il était dehors après l’heure du couvre-feu. Normal, il vit dans sa voiture.

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Les trois quarts des personnes incarcérées ont quitté l’école avant 18 ans, les deux-tiers sans aucun diplôme.

Corinne Rostaing, sociologue

Comme Diego, Abdelhak et Louis, « la majorité des personnes incarcérées sont issues de milieux défavorisés », souligne Corinne Rostaing, sociologue. Les trois quarts des personnes incarcérées ont quitté l’école avant 18 ans, les deux-tiers sans aucun diplôme.

« La prison qui marque une énorme rupture dans la vie des gens, qui ne fait écho à aucune expérience passée, c’est rare », précise Laura Delcourt, doctorante en sociologie et attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université de Lille. « Pour la majorité des personnes, la prison s’inscrit dans une trajectoire. » Une trajectoire qui passe, comme pour Diego, par une série d’institutions. « J’ai été placé à 11 ans et demi. » Diego liste avec fatalité : foyer de l’aide sociale à l’enfance, fugues, famille d’accueil, foyer de redressement.

Max, 52 ans, assure n’avoir fait, de toute sa vie, que six mois de prison. Trois semaines par-ci, quatre mois par-là. Il a aussi passé quatre ans en psychiatrie. « Je suis un descendant de Zoroastre par ma mère. Et un parent de Claude Monet, je fais les ‘n’ comme lui », glisse l’homme qui flotte dans des habits trop grands.

Une étude récente2 menée dans le Nord de la France fait état d’une « très nette surreprésentation des troubles psychiatriques (…) parmi les personnes récemment incarcérées », note Thomas Fovet, psychiatre, sur le site The Conversation. Plusieurs des personnes rencontrées admettent être alcooliques ou dépendantes à des drogues. Thomas Fovet ajoute, dans le même article, qu’en moyenne, « les troubles liés à l’usage de substances (alcool et autres substances illicites) concernent environ un arrivant sur deux, ce qui correspond à un taux huit fois supérieur à la population générale. » Les troubles psychiatriques étudiés s’y révèlent « en moyenne trois fois plus fréquents ».

Au fil des rencontres, les prénoms, les dates, les lieux changent, mais une histoire tortueuse se dessine, entre précarité économique, addictions, troubles psychiatriques et pauvreté affective. Un père en prison, parti ou décédé. Des relations conflictuelles avec la mère. Et, quand il y en a, une compagne et des enfants que l’on n’a pas vu depuis des lustres. La sociologue Laura Delcourt souligne, chez beaucoup de personnes détenues, « une instabilité très forte du lien affectif ». Diego continue à voir sa mère en cachette du reste de la famille. Louis n’a pas vu ses enfants depuis des années.

Difficile, dans ces conditions, de trouver des points d’appui à sa libération. D’après l’enquête du Secours Catholique et d’Emmaüs France « Au dernier barreau de l’échelle sociale : la prison » (octobre 2021) alors que 8 % de personnes se déclarent sans abri au moment de leur incarcération, elles sont 28 % à la sortie.

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Chaque mardi à Marseille, Robert Cristin, bénévole au Secours Catholique, organise une tournée mobile à la rencontre des personnes à la rue. Une part importante de ceux qu’il rencontre lui ont confié être passés par la prison. Calé contre le plan du métro, Place Castellane, Stéphane, 41 ans, est de ceux-là. Il a un look de cow-boy et la gueule de Chris Waddle, un footballeur anglais qui a joué à l’Olympique de Marseille dans les années 1990. Son destin est moins glorieux. « En ce moment, je dors dehors. J’ai toujours fait foyer, prison ou rue. J’ai perdu mon père quand j’avais 15 ans. J’ai été dans un foyer de l’aide à l’enfance. J’ai du mal à apprendre à lire et écrire. Je suis jamais allé au collège. »

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Quelques centaines de mètres plus loin, Sebil fait la manche tous les jours devant un Monoprix de Marseille. L’école ? Il a décroché en 5e, arrêté en 3e. En prison, Sebil était un « indigent » : il avait moins de 50 € de ressources mensuelles. L’administration pénitentiaire lui a versé deux fois 20 €.

En détention, le coût de la vie est estimé à 200 € mensuels. Les personnes détenues reçoivent chaque mois deux rouleaux de papier toilette, quelques produits d’hygiène de base, de la nourriture. Mais pour s’assurer un apport calorique suffisant et un minimum de dignité, il est indispensable de cantiner. Mais beaucoup de choses coûtent plus cher qu’à l’extérieur. Et puis il faut être patient. Mathieu*, 41 ans, avait commandé des livres. « Ils ont mis deux mois à venir. » « Pour des produits d’hygiène féminine, déplore une femme, c’est deux à trois semaines. Pour une crème hydratante, plutôt deux mois. »

En outre, en détention, les personnes décident de très peu de choses pour elles-mêmes. « On ne décide même pas de l’heure à laquelle on se lève, ni de l’heure à laquelle la porte de la cellule va s’ouvrir », souligne Mickaël, 38 ans, plus de six ans de « placard ». Une perte d’autonomie qui s’accentue au fil des semaines, des mois, des années de détention.

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« Si la prison représente d’abord un choc, petit à petit, les personnes intègrent ses codes et c’est ça qui devient la norme » souligne Laura Delcourt. Un avantage pour survivre en prison, un nouveau choc à la sortie. « On a souvent l’exemple de personnes qui ne sont plus du tout adaptées au fonctionnement de la société, qui a continué à évoluer pendant leur détention » note la sociologue. Des personnes incapables de se servir d’un téléphone portable. De traverser seules la rue, de choisir un plat sur un menu ou effrayées à l’idée de marcher sur de l’herbe… Aujourd’hui encore, constate la sociologue Corinne Rostaing, « la sortie reste un impensé ».

Mickaël regrette que les activités proposées ne s’inscrivent pas dans un réel parcours d’insertion. « En prison, j’ai suivi une formation de couvreur, mais pour la pratique, on a travaillé sur des maquettes. Aujourd’hui, je suis incapable de monter sur un toit ! Je ne mets même pas cette formation sur mon CV. » Mathieu, lui, trouve les exigences du monde du travail du dedans à mille lieux de celles du dehors. « Il y a des façons de faire, on a l’impression de retourner vingt-cinq ans en arrière ! »

Si la sortie reste un impensé, c’est notamment du fait que nombre de personnes sont incarcérées pour de courtes durées, qui ne permettent pas la mise en place d’un réel suivi social. Stéphane, à Marseille : « La prison, ça remonte cinq ans en arrière. Des petits vols. Des courtes peines, deux mois, trois mois. Pas le temps d’avoir un rendez-vous avec l’assistante sociale. »

Cet accompagnement relève des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, les « C-pip ». Aurélie Poguet exerce cette fonction très polyvalente, au sein de la maison d’arrêt de Strasbourg. Sa mission ? « L’insertion, la réinsertion, la prévention de la récidive », résume-t-elle. « En maison d’arrêt, les détenus peuvent faire appel à nous pour leur suivi social. »

En moyenne, un Cpip suit 80 personnes en détention et 90 à 100 en milieu ouvert. Or les préconisations européennes sont de 60 dossiers par conseiller. « Ce nombre de personnes suivies, précise Aurélie Poguet, c’est à l’instant T. Avec le turn over qu’il y a en maison d’arrêt, cela représente en réalité 300 à 350 personnes suivies sur une année. » La conséquence ?  « On travaille de manière dégradée et notre mission est assez limitée «, regrette la conseillère d’insertion. « La nouvelle loi impose de ne pas incarcérer pour des durées inférieures à un an, sauf cas exceptionnel. Dans la réalité, beaucoup de courtes peines sont encore prononcées. À la maison d’arrêt de Strasbourg, la durée moyenne des incarcérations est de cinq mois. »

Tous ces éléments concourent à un taux de récidive élevé. Un document du ministère de la Justice de 2014 intitulé « Prévention de la récidive et individualisation des peines » note que « 61% des sortants de prison sont réincarcérés dans les 5 ans ». Dans ce même document on peut lire : « La récidive - entendue comme le taux de recondamnation - est toujours moindre après des sanctions non carcérales ». Ou encore : « Les ‘sorties sèches’ génèrent plus de récidive ».  

La sortie sèche, sans préparation, c’est la hantise de beaucoup. Cela équivaut à « sortir à poil » confie une femme sous écrou. Pourtant, des alternatives existent, mais sont peu utilisées. Le « 30 », une maison familiale de Caritas Alsace, à Strasbourg, en fait partie, de même que trois fermes gérées par Emmaüs France.

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A la ferme Emmaüs Baudonne, près de Bayonne, la libération, c’est l’horizon. Ouverte à l’automne 2020, elle accueille sept femmes en placement extérieur. Le matin, Céline, Angélique1, Isabelle1, Nadia, Aïsha effectuent des activités de maraîchage. L’après-midi est consacré à des rendez-vous professionnels, médicaux, à des activités libres. Elles sont payées, ont droit à des congés.

Cette ferme, c’est une prison ouverte ? « Surtout pas ! », s’exclame Gabriel Mouesca, directeur des lieux. « Ce n’est pas une prison. » Un lieu d’insertion alors ? « Insertion, ça signifie que l’on veut faire entrer les gens dans une case. Je préfère ‘autonomisation’ : c’est permettre à la personne de trouver sa place dans la société. » Pour « Gabi », tous les mots de la prison sont pipés : « Parler de ‘peine’ montre que l’on est dans la souffrance. Il vaudrait mieux parler de sanction. » Âgé de 59 ans, il a appartenu jadis à l’organisation indépendantiste basque Iparretarrak et passé dix-sept ans derrière les barreaux.

Ce jour-là, Isabelle fête ses 55 ans. Depuis qu’elle est à la ferme, son horizon se dégage un peu plus chaque jour. « Je suis une femme battue », murmure-t-elle en guise de présentation. Un « geste » qu’elle regrette, contre son ex-mari, l’a conduite en détention. Elle vient d’y passer sept ans. A son arrivée à la ferme, elle faisait des crises d’angoisse. « Trop d’espace en une fois. J’ai demandé une petite chambre pour ne pas faire violence à mon corps. »

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Moi, détenue, j'ai l'impression de crier dans le désert
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« En prison, ajoute Céline, la quarantaine, on perd conscience de l’espace et du temps. L’isolement, l’absence d’activité, à force, on ne sait plus pourquoi on est rentrée. On perd le sens de la peine. » A son arrivée, voici cinq mois, Céline parlait peu. « En prison, les relations sont violentes. Il faut être sur la réserve, ne pas trop en dire. On est épiées. La détention casse la confiance en soi. C’est déshumanisant. On ne fait que ressasser. Ici, on construit l’après. On va chercher les causes de ce qu’on a fait, on nous garde éveillées. On ne nous enlève ni le droit de réfléchir, ni celui de parler. »

Ce qui aide à tenir en détention ? Pour les unes, le travail. « C’est structurant », assure Céline.  Cela donne une raison de se lever le matin, des horaires, une manière de se rendre utile à la société. La possibilité, aussi, de payer les parties civiles et, dans le meilleur des cas, de se constituer un pécule de sortie. Souvent maigre. « En sept ans de détention, j’ai réussi à mettre 1000 € de côté », observe Isabelle.

D’autres tiennent grâce aux parloirs avec des proches, aux rencontres avec un visiteur de prison ou un aumônier. Une altérité salutaire, indispensable pour aller chercher en soi ce qu’il y a de meilleur et envisager l’avenir au-delà des murs.

Ce n’est pas autrement que Bruno Lachnitt, aumônier catholique national des prisons, définit son rôle. Il aime, pour cela, citer Sagesse d’un pauvre, un livre sur François d’Assise écrit par Eloi Leclerc en 1959 : « Evangéliser un homme, vois-tu, c’est (…) se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi. C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié. Une amitié réelle, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profondes. »

Bénévoles, aumôniers ou visiteurs, ceux et celles qui gravitent autour des prisons par choix participent à ce que les personnes ayant connu la prison se sentent, peu à peu, partie prenante d’une société qui, jusque-là, les a souvent rejetés.  

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La ferme Emmaüs Baudonne, un sas pour se retrouver
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A la ferme Emmaüs Baudonne, les femmes côtoient au quotidien une quarantaine d’enfants de 3 à 12 ans. A la lisière de la forêt, une école alternative s’est installée à la rentrée de septembre. Fanny Dubois est l’une des fondatrices : « On partage les mêmes valeurs qu’à la ferme : solidarité, mixité sociale, prendre soin de soi et de l’environnement, bien vivre ensemble. » Pour Céline et Isabelle, cette présence n’est pas neutre. « Entendre les enfants qui jouent, ça nous humanise un peu. On doit pas être si moches que ça. »

La libération de Céline est prévue le mois prochain. La première chose qu’elle va faire ? « Aller voir mes proches, que j’ai pas vu depuis deux ans. » Après, s’installer dans le coin. « C’est une bonne région pour repartir à zéro. Et puis je pense que je reviendrai à la ferme. J’ai envie de participer à la défense de la dignité des personnes détenues. Maintenant, je veux faire de mon passage en prison une force. »

 

1. Le prénom a été modifié.

2. « Santé mentale en milieu carcéral », étude menée par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale des Hauts-de-France et le Centre collaborateur français de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale.

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Auteur et crédits
Texte et sons : Aurore Chaillou Crédits photos : © Christophe Hargoues, Anthony Micallef et Xavier Schwebel pour le Secours Catholique - Caritas France
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