Dans le Berry, des paniers solidaires pour inventer un autre modèle
Rapprocher les familles en précarité des producteurs locaux pour favoriser l'accès de tous à des produits sains, frais et de qualité : c’est l’objectif des réseaux de paniers solidaires créés par le Secours Catholique. Dans le Berry, l'opération est aussi l’occasion pour des personnes isolées de créer du lien, de s’investir dans un projet collectif innovant et de montrer qu'un autre modèle alimentaire est possible.
« Un rêve devenu réalité ». C’est ainsi que Brigitte Audo, la bénévole du Secours Catholique à l’origine de l’action, qualifie l’opération "paniers solidaires" qui se développe avec succès dans le Berry.
Le projet est né pendant le confinement, afin de faire face à un nouveau type de précarité. « Ici, dans le bassin de vie Issoudun / Reuilly, beaucoup de gens ont perdu leur emploi pendant la crise sanitaire, rapporte Arnaud de Brisemontier, le délégué du Secours Catholique du Berry. En particulier, de nombreuses mères seules qui étaient intérimaires ou en contrats précaires se sont retrouvées au chômage, avec de grandes difficultés pour nourrir leur famille. »
Obligée d’aller au moins cher : des pâtes, et presque jamais de légumes ou de viande.
« J’étais seule avec mes quatre enfants, sans travail. Mes fin de mois étaient très compliquées… témoigne Ludivine, qui n’avait jusque-là jamais fait appel à des associations ou aux services sociaux. J’étais obligée d’aller au moins cher : des pâtes, et presque jamais de légumes ou de viande. »
Très vite, pour Ludivine comme pour d’autres, l’argent vient à manquer de plus en plus tôt dans le mois, prendre sa voiture pour aller faire des courses devient problématique et l’isolement, une douloureuse réalité. « Dans nos territoires hyper ruraux, la question de la mobilité est centrale. Il fallait trouver des solutions », explique Brigitte Audo.
des paniers à 4 ou 7 euros
Le Secours Catholique a alors l’idée de mettre en lien ces mères en difficulté avec des producteurs locaux, afin qu’elles bénéficient de produits biologiques et en circuit court sous la forme de paniers solidaires distribués et payés, pour une partie, par l’association. Les familles s'acquittent de 4 euros pour un panier d'œufs, de légumes et de fromage d'une valeur de 15 euros, et de 7 euros pour un panier avec de la viande d'une valeur de 30 euros.
Le maire de Chârost, Ludo Coste, a été immédiatement convaincu de l’utilité de cette initiative. « Quand Brigitte Audo est venue me voir pendant le Covid en m’expliquant que le Secours Catholique voulait mettre en place des paniers solidaires avec l’appui du CCAS de Chârost, la Municipalité a tout de suite adhéré. » se souvient l'élu.
Après plusieurs semaines de préparation, l’opération est lancée dès la fin du premier confinement. Une alimentation saine et locale, à des prix abordables pour les familles, et sans pertes de revenus pour les producteurs : la recette est gagnante pour tous. Ainsi, Jimmy et Alexina, jeunes maraîchers bio de Saint-Georges-sur-Arnon, dont l’exploitation de 2 hectares fournit chaque semaine en légumes de saison les paniers des familles, n’ont pas hésité un instant à s’engager dans cette action.
« On est issus de la classe ouvrière, on connaît les difficultés à boucler les fins de mois, témoignent ces anciens ouvriers textiles reconvertis dans l’agriculture il y a 4 ans. En nous lançant dans le bio, notre souhait était d’être accessibles à tous, tout en faisant vivre notre entreprise. On a tout de suite trouvé ce projet super : ça valorise à la fois notre travail et les gens qui accèdent à nos produits. La proximité avec les gens permet de connaître leurs besoins, de pouvoir répondre à la demande de chacun, et de casser la barrière entre le producteur et les clients. »
Comme Alexina et Jimmy, Marie-Thérèse, éleveuse convertie au bio, commercialise ses produits essentiellement par la vente directe. Elle approvisionne en viande les paniers des familles. « Produire bio et local est un choix politique et citoyen. La conversion est longue et technique. Il faut connaître la nature, respecter ses équilibres, en accepter la complexité. Mais cela a des répercussions positives sur l’ensemble du territoire, où chacun trouve sa place. »
Cultiver le lien social
Aujourd’hui, 25 familles bénéficient de ces paniers solidaires, dont certaines sont adressées par le CCAS de Chârost. Tous les lundis matins, un bénévole du Secours Catholique va à leur rencontre pour leur remettre le panier de la semaine. L’occasion d’échanger les dernières nouvelles, et de faire un point sur les éventuelles difficultés ou besoins des ménages. « C’est une action qui est parfaitement dans l’ADN du Secours Catholique, souligne Arnaud Brisemontier. Nous brisons l’isolement et allons là où les pauvretés ne trouvent pas de réponses institutionnelles ou associatives. »
En ce lundi de juillet, Aline commence sa tournée à 9h sur l’exploitation de Jimmy et Alexina pour confectionner les paniers, puis direction la place de la Poste à Issoudun où Ludivine et deux de ses quatre enfants l’accueillent, sourire aux lèvres. « Cela fait un an que j’ai accès à ces paniers, c’est une grande aide pour moi, confie la mère de famille. Au-delà de nous permettre de bien manger, cela me fait voir du monde, parler à des gens bienveillants… »
Pour certaines personnes, la remise des paniers est le seul moment de la semaine où elles ont un contact avec l’extérieur.
Une dizaine de kilomètres plus loin, à Reuilly, Liliane attend Aline de pied ferme sur le seuil de son petit pavillon, avant de l’emmener au salon, où elle découvre les produits qui composent le panier de la semaine.
« On mange trop de cochonneries, mais cinq fruits et légumes par jour, il faut avoir les moyens…, déplore la retraitée. Dans les grandes surfaces, c’est trop cher. Avec les paniers, je recommence à cuisiner un peu, je me fais mes petits trucs. La dernière fois, j’ai préparé des courgettes avec de la chair à saucisse. »
L’heure tourne, Aline s’attarde. « Pour certaines personnes, la remise des paniers est le seul moment de la semaine où elles ont un contact avec l’extérieur », souffle-t-elle. À l’issue de sa tournée de plus de 3h, la bénévole est fatiguée mais souriante.
« J’aime beaucoup ces matinées. Cela demande beaucoup d’énergie, mais je vois évoluer les familles au fil des semaines, c’est gratifiant, confie cette bibliothécaire qui a emménagé à Issoudun pendant le confinement. Devenir bénévole au Secours Catholique m’a permis à moi aussi de rencontrer des gens super et de créer du lien ».
Bénévoles, producteurs, familles, élus : chacun s’implique à son niveau pour permettre au projet de vivre et de se développer. Au fil des mois, la “petite action alimentaire” s’est transformée en une action collective innovante, aux multiples dimensions.
Les familles ont ainsi pu aller à la rencontre de ceux qui, chaque semaine, garnissent les paniers. L’occasion de faire plus ample connaissance avec les producteurs et de prendre conscience du travail fourni derrière chaque panier.
« Avec mes enfants, on est allé faire une visite d'une journée chez les maraîchers. Les enfants ont participé, ils ont ramassé les légumes… , raconte Vanessa, l’une des premières mères, orientée vers le Secours Catholique par le CCAS de Chârost, à avoir bénéficié des paniers. On est aussi allés voir les éleveurs, qui nous ont expliqué comment ils élevaient et abattaient leurs bêtes… »
Jusqu'à l'Assemblée nationale
Grâce aux paniers et à ces visites pédagogiques, les enfants découvrent d'où vient la nourriture, apprennent à réaliser des recettes, comprennent les liens entre alimentation et santé… Un cercle vertueux dont se réjouit Brigitte Audo : « Cette action a prouvé que nous avons la capacité de nous nourrir localement. Il faut modifier notre façon de nous alimenter et d’acheter : c’est ainsi que nous pourrons changer notre avenir ». « Avec cette action, des mondes se rencontrent et inventent ensemble un autre modèle », commente Marie Drique, chargée de projet Alimentation au Secours Catholique.
Forte de cette expérience, la délégation du Berry prévoit, au moment de la publication du rapport statistique du Secours Catholique, à l'automne, de venir avec des familles et des producteurs présenter l'opération à l'Assemblée nationale.
Une façon de montrer qu’un accès durable et digne à une alimentation saine pour tous, couplée à une juste rémunération du producteur, n’est pas qu’un rêve : avec de la volonté politique et un engagement citoyen, cela peut devenir une réalité.
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